BIENVENUE CHEZ M. AIMÉ DESMOTTES

COLLECTIONNEUR DE LA PLACE DES VOSGES 

DE L’OBJET MÉDIÉVAL A L’INSTRUMENT DE MUSIQUE

Extraits de Frédéric Tixier, Université de Lorraine, Nancy, CRULH, EA 3945 Nancy, France

« L’écrin devait être en harmonie avec les perles » Paul Eudel, à propos de la collection Desmottes. »

" Aimé Eugène Constantin Desmottes-Lenglart (son épouse est la petite fille du grand collectionneur Charles Lenglart) appartient bel et bien à cette deuxième génération de collectionneurs – après Debruge-Dumesnil, Du Sommerard, Sauvageot ou encore Soltykoff – qui redécouvre, à partir des années 1840-1850, l’art du Moyen Âge et de la Renaissance. " 

Le collectionneur:

« Grand, mince, distingué, un peu anglais de tenue, mais gentilhomme français d’allure (...) », cet homme a su, grâce à de confortables moyens, se constituer un remarquable cabinet d’amateur éclairé, dans lequel se côtoyèrent plusieurs grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art mais également quelques pastiches. Et malgré la dispersion complète des œuvres, il est encore possible d’évoquer aujourd’hui l’une des toutes dernières grandes collections d’objets d’art de haute époque – avec celle de Victor Martin Le Roy – de la seconde moitié du XIXe siècle. "

Desmottes-Lenglart  

charles-lenglart

Le portrait des grands parents Lenglart peints pat Johann Julius Heinsius trônait au milieu des collections. le grand père, Charles Lenglart  était un des plus grands collectionneurs et mécènes du siècle des lumières. 

Ses soeurs étaient Madame Urbain-Dominique Virnot et Madame Charles-Louis Virnot de Lamissart

Charles Joseph Marie Lenglart, 
seigneur de Lannoy et de Planques, 
Chevalier du Lys par le Roi Louis XVIII le 25 Juillet 1814, 
Bourgeois de Lille, 
Echevin de Lille, 
Négociant, 
Banquier, 
Conseiller Municipal, 
Trésorier de la ville de Lille, 
Président du Canton de 1813 à 1816, 
Député de la ville de Lille au sacre de Napoléon, 
Conservateur du Musée de Lille,
baptisé le 22 Mars 1740 Saint-André Lille, 
décédé à Lille le 19 Novembre 1816 

x à Bruxelles le 17 Février 1767 Marie-Anne van Nuffel, baptisée le 5 Mars 1744 à Saint-Gery Bruxelles, décédée le 22 décembre 1825, fille d’un Grand Juge de la Chambre des Tonlieux (aujourd’hui van Nuffel d’Heynsbroeck) Voir l’article « Un mécène et collectionneur du Siècle des Lumières »

Entre les 19 et 23 mars 1900, en salle n° 6 de l’hôtel des ventes de Drouot à Paris, le monde des collectionneurs et autres amoureux de « bibeloteries » anciennes fut en effervescence avec la mise en vente de l’imposante collection du riche rentier, d’origine lilloise, Aimé Eugène Constantin Desmottes (1825-1899). « Visiteurs, amateurs et antiquaires venus de loin, notamment d’Allemagne (...)» s’y retrouvent alors, comme l’évoquent, dans leurs gazettes, certains des journalistes présents au cours de l’événement. Il est vrai qu’avec quatre cent soixante-douze numéros au catalogue2 – comprenant divers objets d’orfèvrerie, des tapisseries, des sculptures ou encore des armes et autres faïenceries – la vente Desmottes ne rapporte pas moins de 344 000 francs et constitue de fait l’une des plus importantes vacations d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance en ces prémices du XXe siècle.

Né à Lille le 11 avril 1825, au sein d’une famille de la bourgeoisie marchande spécialisée dans le textile et le sucre, fils de Charles Aimé Joseph Desmottes et d’Hortense Charlotte Paquet, Aimé Desmottes se passionne dès sa plus tendre enfance, selon son biographe Paul Eude, pour l’époque médiévale. Son goût romantique le conduit ainsi à transformer sa chambre en véritable « salle gothique », parant ses fenêtres de vitraux de papier et ses murs, d’arabesques et de brocarts. Aux intérêts des affaires familiales, Desmottes préfère fréquenter les églises et autres musées de sa ville natale, nourrissant sa passion pour l’art et son goût du dessin. Le 4 septembre 1850, il épouse Charlotte Nathalie Lenglart, fille et petite-fille de riches négociants et banquiers lillois :  La fortune considérable des époux Desmottes permet à Aimé d’accroître très rapidement sa collection, d’abord à Lille, puis à Paris, lorsqu’il décide, dans les années 1880, de s’installer au 12, de la place des Vosges, (Place Royale), au premier étage du Pavillon de la Reine. Le confortable et vaste appartement devient un véritable écrin pour ses objets, ouvert aux nombreuses visites d’amateurs et / ou curieux de la capitale.

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Desmottes-Lenglart

 

Paul Eudel écrit même « qu’à peine avons-nous franchi le seuil de l’antichambre de M. Desmottes que nous commençons à nous persuader que nous devenons un Flamand du XVe siècle ». En effet, le goût du collectionneur se portera tout au long de sa vie sur des œuvres d’art des derniers siècles du Moyen Âge et du début de la Renaissance, en particulier la statuaire flamande des XVe et XVIe siècles. Cette préférence s’avère quelque peu atypique en cette seconde moitié du XIXe siècle, qui voit traditionnellement l’intérêt se porter sur le siècle de saint Louis, considéré alors comme l’apogée de la création artistique médiévale.

GENÈSE ET « SCÉNOGRAPHIE» D’UNE COLLECTION D’OBJETS D’ART ANCIENS.

Desmottes-Lenglart

Malgré sa dispersion, le cabinet de notre amateur peut – dans une certaine mesure – être reconstitué par le biais de trois principales sources textuelles et iconographiques : tout d’abord, avec le Catalogue avec annotations des objets d’art français, italiens, allemands et flamands des XIIIe, XIVe, XVe, XVIe et XVIIe siècles, rédigé par Aimé Desmottes en personne et publié à Lille en 1878 ; puis avec le catalogue de la vacation de 1900 comprenant plusieurs planches illustrées d’œuvres de la collection et enfin, avec quelques tirages photographiques du fonds Marquet de Vasselot, aujourd’hui conservé au musée du Louvre. Si Aimé Desmottes acquiert ainsi une partie de sa collection dans le nord de la France, il hérite également d’œuvres importantes de son père. En effet, Desmottes père possède, dans les années 1860, quelques pièces médiévales intéressantes dont des croix processionnelle, deux châsses reliquaires du martyre de saint Thomas Becket en Opus Lemovicense et surtout un imposant buste d’une sainte femme (ou de la Vierge ?), attribué à l’époque au sculpteur-orfèvre italien de la seconde moitié du XVe siècle, Cristoforo Foppa dit Caradosso .Mais la grande majorité de ses acquisitions provient directement de marchands ou de ventes aux enchères à Amiens, à Lille ou encore à Paris : ainsi, lors de la vacation Bouvier de 1873, Aimé Desmottes achète plusieurs objets, dont deux bustes-reliquaires et une monstrance émaillée de la première moitié du XIVe siècle. Il se porte également acquéreur d’un grand nombre de pièces intéressantes lors des dispersions des collections Dugué, Ducatel, Brunet, Couvreur, Germeau, Soltykoff, du baron de Theis... et surtout lors de celle de Spitzer en 1893. Au cours de cette dernière vacation, Desmottes remporte l’enchère la plus élevée pour les deux splendides figures d’évangélistes en cuivre ciselé datées des années 1230, et appartenant à l’origine au frontal du maître-autel de l’abbaye de Grandmont (?). En parallèle des pièces d’orfèvrerie (fig. 4), des panneaux décoratifs en bois du XVIe siècle, des ivoires gothiques, une série de tapisseries et de broderies ou encore un très bel ensemble de faïences hispano-mauresques viennent enrichir son imposant cabinet de collectionneur. Un buste en cire colorée d’Henri IV, réalisé par le sculpteur Michel Bourdin dans les années 1610 d’après un moulage mortuaire du roi (?), fait d’ailleurs l’admiration de ses visiteurs et la jalousie de certains de ses pairs. Achetée par Desmottes en 1883 lors de la vente Beurdeley, l’œuvre est souvent commentée dans les divers salons et autres journaux de l’époque. Moins connue mais tout aussi étonnante est sa (modeste) collection d’instruments de musique. Si la trompette allemande de cavalerie, en cuivre, s’avère quelque peu traditionnelle, en revanche, le violon en faïence bleue et blanche de Delft, du début du XVIIIe siècle, est, quant à lui, très atypique. En effet, cette œuvre – à la sonorité « ni puissante, ni agréable » selon les mots de Gustave Chouquet – apparait comme une pièce exceptionnelle et rarissime, sortie des ateliers de manufactures hollandaises. Grâce aux photographies prises de l’intérieur (lillois ou parisien ?) de M. Desmottes, nous avons aujourd’hui une petite idée de « l’organisation » de la collection, telle qu’elle avait été imaginée par son possesseur. Murs, vitrines et étagères étaient entièrement encombrés d’œuvres diverses et variées – les armes côtoyant les sculptures et autres peintures – dans un esprit encyclopédique et selon un aménagement typique de l’amoureux d’objets d’art de haute époque de la seconde moitié du XIXe siècle. Accumulation, horreur du vide et « désordre » apparent suivent finalement une certaine logique dans l’esprit du collectionneur et ce, dans le but d’évoquer un panorama général le plus complet possible de la création artistique entre Moyen Âge et Renaissance. La vitrine de son cabinet de travail est d’ailleurs tout à fait exemplaire à cet égard puisque sont rassemblées – sous la classification « orfèvrerie religieuse » – de nombreuses pièces de différentes époques, depuis une colombe eucharistique en émail limousin du début du XIIIe siècle jusqu’aux reliquaires des années 1500, en passant par des figures d’applique, des pyxides et autres crosses épiscopales... En cela, Aimé Desmottes fut le grand ordonnateur de sa collection à la scénographie réfléchie et quelque peu théâtralisée, véritable reflet de ses goûts personnels.

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À l’instar de certains de ses contemporains, le collectionneur fut également un « pourvoyeur » important en œuvres d’art lors d’expositions rétrospectives d’art ancien et industriel, à l’échelle locale, nationale et internationale. En septembre 1872 par exemple, Desmottes envoie une quarantaine d’œuvres variées à l’exposition artistique départementale organisée par la ville de Valenciennes. Ce prêt important lui octroie même la médaille d’or en remerciement de sa généreuse participation. Deux ans plus tard, les pièces de Desmottes font une grande impression sur les organisateurs et les nombreux visiteurs de l’exposition d’objets religieux de Lille, sans oublier celle de Bruxelles en 1882 et surtout, celle, rétrospective, de l’art français du Trocadéro à Paris en 1889. Une fois encore, le journaliste Paul Eudel se fait l’écho du succès des objets de la collection Desmottes : « La vitrine de M. Aimé Desmottes retient devant elle bien des visiteurs. Elle ne contient cependant que des bois sculptés, mais quels bois ! Ils sont de premier ordre, avec une belle patine qui leur donne des tons chauds du bronze florentin. Evêques mitrés, saints en prières, vierges en extase, appuyées sur la hanche dans cette posture familière du XVe siècle, groupe représentant le mariage de la Vierge et de saint Joseph31 ».À la mort de Desmottes en 1899, sa veuve met en vente la majeure partie de la collection. Mais, respectant en cela les dernières volontés testamentaires de son mari, elle réalise trois donations importantes. Un buste en bois de saint Jérôme des années 1500, un encensoir gothique ainsi que divers autres petits objets (aiguières, ciboires, coffrets...) entrent au musée des Beaux-Arts de Lille. Le musée des Thermes et hôtel de Cluny s’enrichit quant à lui de plusieurs œuvres, dont une Vierge à l’Enfant en cuivre doré du XVe siècle et un groupe sculpté en bois du début du XVIe siècle, représentant le couronnement de Marie par deux anges. Enfin, le musée du Louvre hérite du « célèbre » buste en bois doré d’une sainte femme (?), attribué à Caradosso. Malheureusement, celui-ci s’avère être un pastiche dans le goût du XVe siècle ; une contrefaçon de bonne qualité, achetée par Desmottes père à Eugène Piot dans le cours des années 1840-1850. Ainsi, le chef-d’œuvre de la collection Desmottes fils – maintes fois loué pour sa beauté dans la littérature de l’époque – doit aujourd’hui être attribué à un atelier de faussaires, peut-être italien...Comme de nombreux collectionneurs de son temps, Desmottes fit également l’acquisition de pièces contrefaites ou de pastiches plus ou moins bien réalisés. Mais il fit aussi restaurer, et ce par-fois grossièrement, certaines de ses œuvres lorsque ces dernières n’étaient pas en assez bon état à son goût. Ainsi, lors du compte-rendu de la vente Desmottes dans le Bulletin de l’art ancien et moderne, un journaliste écrit que « l’amateur (...) professait volontiers, qu’il valait toujours mieux faire ajouter des parties modernes à un objet que de le laisser avec des accidents (...)». Il est donc probable que le collectionneur s’attacha les services d’un maître-orfèvre et / ou d’un sculpteur – pratique courante au XIXe siècle – lorsqu’il souhaitait rendre à l’œuvre nouvellement achetée son aspect originel. Dès lors, on peut imaginer que la petite Vierge à l’Enfant, en cuivre doré, du musée de Cluny « bénéficia » de plusieurs restaurations programmées par le collectionneur ! Conservé à la bibliothèque Jacques Doucet de l’Institut national d’Histoire de l’art à Paris, un exemplaire du catalogue de la vacation Desmottes de mars 1900 s’avère extrêmement intéressant car de nombreuses annotations marginales à la plume nous renseignent sur les différents prix atteints par les enchères. On y retrouve également divers jugements sur la qualité esthétique des œuvres ainsi que, parfois, le nom de leurs nouveaux propriétaires : les numéros 3 et 4 du catalogue par exemple, qui concernent deux petites châsses limousines – l’une représentant une Fuite en Égypte et l’autre des saints personnages – portent la mention « restaurée ». De même, les termes « arrangement », « pièce composée de parties refaites ou modernes», « réparation » ou encore « douteux ? » sont fréquemment associés aux objets de la collection Desmottes ! Malgré cela, la vente est un véritable succès : les cuivres champlevés des XIIe et XIIIe siècles, en particulier, atteignent de très hautes enchères, doublant ou triplant leurs estimations. Les grands marchands et collectionneurs de l’époque, tels Lehman, Homberg, Gillot, Hoentschel et surtout Brimo de Laroussilhe se portent acquéreurs d’une grande partie des œuvres. Ce dernier, célèbre galeriste parisien, achète notamment plusieurs pièces, qu’il revendra par la suite au grand amateur et collectionneur d’art John Pierpont Morgan. En 1917, quelques objets de l’ancien cabinet Desmottes entrent alors au Metropolitan Museum of Art de New York, tandis que d’autres rejoignent, par donation, les collections du musée du Louvre ou encore de celui d’Amiens.

Ainsi, Aimé Eugène Constantin Desmottes appartient bel et bien à cette deuxième génération de collectionneurs – après Debruge-Dumesnil, Du Sommerard, Sauvageot ou encore Soltykoff – qui redécouvre, à partir des années 1840-1850, l’art du Moyen Âge et de la Renaissance. « Grand, mince, distingué, un peu anglais de tenue, mais gentilhomme français d’allure (...) », cet homme a su, grâce à de confortables moyens, se constituer un remarquable cabinet d’amateur éclairé, dans lequel se côtoyèrent plusieurs grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art mais également quelques pastiches. Et malgré la dispersion complète des œuvres, il est encore possible d’évoquer aujourd’hui l’une des toutes dernières grandes collections d’objets d’art de haute époque – avec celle de Victor Martin Le Roy – de la seconde moitié du XIXe siècle. »

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