Sophie de Sivry et Laurent Beccaria 

Sophie de Sivry, ancienne élève de l’École normale supérieure, est éditrice et dirige les éditions de l’Iconoclaste avec son mari Laurent Beccaria.. Sophie est la fille de Renaud Poinsinet de Sivry et  Gisèle Prouvost.

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" Trouver l’accord parfait, la note juste, qui résonne longtemps après que le livre soit refermé…Cette quête préside à chaque livre de l’Iconoclaste. La maison publie peu, mais jamais par hasard. A quoi bon ajouter des livres à des livres ? L’Iconoclaste signe quelques livres par an. Parfois ce sont des petits bijoux de littérature, qui nous accompagnent longtemps, souvent ce sont des ouvrages monumentaux, esthétiques et aventureux, sensibles et érudits.

Tous ces ouvrages sont nés en dehors des lois du marketing. La collection "Mémoires" mobilise à chaque parution des équipes de grande ampleur, jusqu’à cent collaborateurs, écrivains et conservateurs dans toute la France. Lettre à une mère ou C’était mon frère ont vu le jour dans l’intimité d’une relation à deux. Mais c’est toujours la même patience et la même attention au détail infime.

Pour chaque publication, depuis la conception du livre jusqu’au lancement, le plus spectaculaire possible, l’Iconoclaste cultive un esprit d’édition. Un choix d’images inédites, exhumant des fonds inconnus, un soin extrême des textes, un goût du livre raffiné mais accessible à tous, jamais intimidant, une attention permanente au lecteur, pour qu’il se sente bien dans nos pages."

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Entretien avec Sophie de Sivry et Pierre Fournié.
Propos recueillis par Nathalie Jungerman

édition du 13 novembre 2003

Couverture du livre Aventuriers du Monde

" Un entretien avec Sophie de Sivry, responsable des éditions de L’Iconoclaste, qui vient de publier Aventuriers du Monde et Pierre Fournié, Conservateur en chef du patrimoine aux Archives du ministère des Affaires étrangères. Responsable des collections iconographiques, il est l’auteur d’une thèse d’école des Chartes sur l’administration française dans les Etats du Levant (1918-1930). Il a publié, seul ou en collaboration, plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient. Pierre Fournié a signé le catalogue de l’exposition Regards sur le monde, trésors photographiques du Quay d’Orsay, 1860-1914 (Somogy éditions d’art), présentée à l’hôtel des Invalides au cours de l’automne 2000.  

Comment êtes-vous devenue éditrice ?

Sophie de Sivry : Par hasard. Flammarion cherchait quelqu’un pour quelques mois dans le secteur des beaux-livres. Je sortais de Normale sup, où parallèlement à des études de lettres, je m’étais préparée au concours des conservateurs de musées qui exigeait une solide formation en histoire de l’art. Le beau-livre m’a plu d’emblée. J’ai eu un coup de foudre pour ce métier où tout ce que j’aimais était réuni : l’association du texte et de l’image, le travail d ?équipe, la recherche graphique... Je voulais devenir cet "éditeur" que j’avais en face de moi, un métier où il faut autant lire que compter, inventer que fabriquer, flairer que commercialiser. Couverture du livre Mémoires du Monde

Deux ans après Mémoires du Monde, un ouvrage réalisé à partir des archives secrètes du Quai d’Orsay, vous publiez cet automne Aventuriers du Monde, un livre sur l’histoire des premières expéditions françaises, de 1866 à 1914, sujet inhérent à l’histoire de la photographie. Quels sont les débuts de cette aventure éditoriale ?

Sophie de Sivry : L’idée est née dans les archives du quai d’Orsay où j’ai eu la chance de pouvoir passer des mois pour concevoir Mémoires du monde. A la fin du XIXème siècle, la France (en même temps que d’autres pays d’Europe) se lance dans une politique de grande expansion. Elle envoie des expéditions dans le monde entier pour conquérir de nouveaux territoires, accroître les connaissances scientifiques ou ouvrir de nouvelles voies commerciales. Les affaires étrangères, ainsi que d’autres ministères, se lancent dans l’aventure. On envoie des diplomates hisser le drapeau français en Afrique, en Asie, en Amérique latine... A leur retour, ils remettent à leur ministère des rapports illustrés de photos. Ce sont ces rapports qui m’ont donné l’idée et l’envie de ce livre. On y revit l’aventure en direct, on y découvre ces explorations et ces pays comme jamais on ne les avait vus jusqu’à présent. En outre, ces photos en elles-mêmes sont miraculeuses car elles ont survécu aux périples les plus inouïs. Et parce qu’elles montrent un monde aujourd’hui disparu, englouti par la guerre de 14.
J’ai eu envie de reconstituer chacune de ces aventures comme un film mais la tâche fut rude car ces photos sont disséminées dans des fonds divers, publics autant que privées, et la plupart du temps elles sont en très mauvais état. Il a fallu faire un gros travail de photogravure (jusqu’à cinq épreuves) et d’impression pour en retrouver la fraîcheur. Sur 500 images, la plupart sont inédites. Jamais un livre illustré n’avait traité les explorations françaises avant 14.

Vous avez mobilisé, pour l’édition de cet ouvrage, une équipe de travail importante et notamment 19 auteurs, qui prennent en charge le commentaire d’une ou de plusieurs expéditions...

Sophie de Sivry : Une équipe de 40 personne pour un seul livre ! La pierre d’angle de l’édifice est Pierre Fournié, conservateur en chef du fonds photographique du Quai d’Orsay, spécialiste de la photo ancienne. Deux années de travail lui auront été nécessaires pour rassembler ces photos, avec l’aide de ses homologues dans les autres fonds. Sans lui, le livre ne serait pas ce qu’il est. Pour les textes, je me suis adressée à de grands écrivains, spécialistes de ces pays. Par exemple à des Africains-comme Kourouma - pour parler des expéditions en Afrique. Charge à eux de nous faire sentir l’aventure comme si nous étions en train de la vivre. Mais il fallait aussi reconstituer les itinéraires à partir des cartes utilisées par les explorateurs sur le terrain et les comparer avec les atlas de l’époque. Retrouver les bonnes orthographes tout en les traduisant pour le public d’aujourd’hui. D’où l’intervention de deux carthographes et de cinq correcteurs. A ceux-ci se sont ajoutés deux maquettistes, quatre documentalistes, quatre photographes etc.

Ce livre est riche de reproductions photographiques, de fac-similés de lettres, de cartes postales, de cartographies, de dépêches, de carnets, journaux de marche, et de dessins... des documents originaux pour la plupart inédits, que vous avez exhumés des Archives, des collections privées...

Pierre Fournié : Effectivement, la recherche de documents inédits, photographiques ou écrits, a demandé près de deux ans de recherche dans plusieurs dizaines de dépôts d’archives, de bibliothèques, de musées et de collections privées, à Paris et en Province. Les archives des explorateurs, quand elles nous sont parvenues, sont en effet le plus souvent éparpillés entre différents lieux de conservation. Il n’y a jamais eu de "ministère de l’exploration" chargé de coordonner toutes les grandes missions de découverte. Beaucoup d’institutions intervenaient alors pour encourager et financer ces entreprises : ministère des Affaires étrangères, ministère de la Marine, Société de Géographie, etc. C’est ce qui en explique en grande partie la dispersion des sources.

Graphoscope (deuxième moitié du XIXe siècle). Cet appareil est composé d’une loupe pour visionner des photographies et de deux oculaires permettant de regarder des vues stéréoscopiques sur papier. (L’explorateur photographe) © Aventuriers du Monde, L’Iconoclaste, p.26

Parlez-nous du matériel photographique, cet outil indispensable pour les explorateurs...

Pierre Fournié : Les explorateurs ont vraiment commencé à s’équiper du matériel photographique au cours des années 1860. Au début, ce matériel était très encombrant et la tâche du photographe plutôt ingrate : les chambres photographiques et leurs trépieds, les plaques de verre, les produits chimiques et les papiers nécessitaient plusieurs très lourdes caisses qu’on chargeait sur des bêtes de sommes (chevaux, mulets, chameaux et même éléphants en Indochine). Quand le terrain - ou le climat - devenait trop difficile, il fallait souvent renoncer au matériel. Progressivement, à partir des années 1880, les progrès et la simplification des techniques ont facilité l’usage de la photographie qui fut souvent confié au benjamin de l’équipe, à celui qui avait un "tempérament d’artiste". Dès la fin du XIXè siècle, on disposait d’appareils portatifs qu’on portait en bandoulière.


Page d’un des journaux de marche et rapports de missions illustrées, (Auguste Pavie au coeur de l’Indochine 1875-1895). © Aventuriers du Monde, L’Iconoclaste, p.112

Et des lettres adressées aux ministres, aux familles, les journaux de marche qui relatent avec précision et souvent poésie ces extraordinaires expéditions...

Pierre Fournié : Ces aventuriers, même s’ils étaient souvent en conflit avec la société, consacraient la plus grande partie des haltes et des bivouacs à l’écriture : il fallait prendre des notes, rédiger les rapports pour l’administration qui avait financé l’expédition, tenir à jour ses carnets qui serviraient à la rédaction du futur récit de voyage. Ils avaient aussi besoin d’écrire aux proches, restés en France, même si les lettres ne parvennaient à ceux-ci qu’après de très longs mois, parfois plus d’une année.